jeudi 11 décembre 2008

Neige qui fond - C.B.

Tout en gris, ça coule et suinte, ça grince comme un trombone estropié. Y a c’truc qui sonne faux, qui crisse…La lamentation des instruments, la nausée qui s’insinue, qui hurle en La mineur. Seconde angoissante, minute manquante…La mort de l’instant, comme celle d’un sourire. Le vacarme des larmes de pluie sur le zinc branlant. Froid métallique, son déglingué. Ruine de l’éphémère blancheur noircissant en rythme d’égouttement dégoutant.

C.B.

La joie de la balançoire vide - Pierre Le Corre

La balançoire joue son rôle, ou presque : elle pend et se balance. Oh, elle se balance doucement, le vent n’est pas bien fort. Et puis, il n’y a pas d’enfants dessus, pas de parents derrière, pas d’amoureux lovés, pas de saouls troublés. Il n’y a personne.
Ça n’est pas plus mal, pense-t-elle. Un peu de repos, enfin.
Elle est et reste l’attraction majeure du petit parc. La concurrence n’est pas bien rude, il est vrai. Le toboggan offre certes l’extase de l’accélération, de la chute, de l’abandon de son corps dans le mouvement, mais c’est si rapide, si bref ! Il faut sans cesse remonter, reprendre un à un chacun des barreaux, œuvrer de tout son corps pour arriver au sommet – on essaye d’aller vite, vite, de retourner à l’échelle, de se hisser rapidement, mais le travail, la peine reste beaucoup trop lourde pour la récompense.
Oh, et, bien sûr, il y a le tourniquet. Faut-il vraiment en parler ? Il se croit intéressant parce qu’il tourne. Tout ce qu’il récolte, c’est quelques mains moites qui viennent parfois s’y accrocher, tourner un peu, tenter de se faire peur ; mais il fait peur, il grince, il couine, il semble devoir rompre à chaque instant ; il fait trop peur, les enfants pleurent, couinent, fuient au bout d’un instant. Alors il couine encore un peu, pour signifier son dédain, et se tait. Tant mieux.
Il se tait mais il rage, on le sent, à une vibration sourde qui l’agite, surtout quand le jour s’efface, que s’approchent quelques moins-enfants, quelques adolescents, adulescents qui s’hasardent dans le parc. Alors, il feint le vent et grince, couine, grogne presque : venez me voir, dit-il, venez sur moi. Je suis drôle. Je suis amusant. Jouez avec moi ! Je suis un jouet pour vous ! Je suis la joie et la frayeur réunis, je suis la rouille qui traîne sur votre vieux vélo, la mousse qui sort de votre vieille peluche, je suis votre enfance !
Certains succombent à son discours, s’avancent, s’assoient. Ils ne tournent pas, ne tournoient pas : le tourniquet n’est pour eux qu’un fauteuil, plus fun que le banc. Mais bien vite, ils se sentent gênés, quelque chose, d’imperceptible, les trouble. Leur position est mal commode, la situation instable. L’un d’eux se relève, le tourniquet a une convulsion, les autres se lèvent à sa suite. Ils font quelques pas, désœuvrés sans vouloir l’admettre, continuent à parler s’ils parlaient, à se taire s’ils se taisaient.
Puis, celui qui a l’initiative, celui qui a su quitter en premier le tourniquet, va, sans savoir vraiment si il est guidé par le hasard des pas ou par une envie réelle, vers la balançoire, vers moi. Il attrape une de mes cordes distraitement, joue avec, me fait tourner, fait s’enrouler mes cordes. Les autres se sont rapprochés, et dans ce genre d’instant ils ne peuvent que se taire. Puis il me lâche, je me déroule, lentement, puis rapidement, retrouve ma force originelle, mon siège dodelinant encore un peu – c’est le tournis. Ce petit signe du siège, l’un d’eux lui trouve un air aguicheur ; ce n’est plus celui qui dirige, c’est un autre maintenant – une autre, en fait : celle qui ose quand l’autre n’ose plus. Elle s’assoit.
En s’aidant de ses pieds, elle se balance un peu. Celui qui dirige se place derrière elle, le troisième du groupe, celui qui est secrètement amoureux, s’écarte et regarde pousser et balancer. Il fait nuit, ou presque, à ce moment-là : il n’y a pour ainsi dire plus de temps ; ils basculent parfois longtemps. Celui qui est amoureux n’ose rien dire, n’ose rien faire ; en fait, il n’a aucune raison de dire ou de faire quoique soit, car il apprécie, profondément, le spectacle. Elle s’élève dans les airs, emplit son champ de vision : c’est l’extase ; elle revient, celui qui dirige emplit son champ de vision : c’est l’amertume. Et l’extase encore, et l’amertume encore.
Puis ils s’en vont, en un geste, en un coup de vent. Elle se lève, celui qui dirige se met à côté d’elle, ils se regardent, sourient ; l’amoureux reste à l’écart quelques instants, puis ils s’en vont. Ils n’ont plus rien à faire ici.
C’était aujourd’hui comme ce sera demain. Toujours la même scène, jamais les mêmes enfants. Après eux, c’est vraiment la nuit, la nuit en tant qu’elle est sordide, noire : la nuit qu’on peut aimer mais qui dérange toujours, la nuit dure, la nuit qui dure, qui s’attache. D’autres passent dans le parc, d’autres s’attardent auprès de la balançoire, s’assoient parfois dessus, s’y assoupissent, s’y réveillent. Mais ceux-là, on n’ose pas les évoquer : ce ne sont plus des enfants, ce sont des adultes, des gens tristes, toujours, saouls parfois, misérables souvent.
La balançoire n’a rien contre eux mais elle les hait ; elle les hait parce qu’ils lui rappellent qu’elle n’est qu’une balançoire, une balançoire impuissante, une marionnette, un objet, rien ; les gens passent, la touchent, l’utilisent, profitent d’elle ; les gens l’ignorent, la négligent. Quand l’un de ces adultes s’assoit sur elle, elle sent tout le poids de la résignation, et elle a peur, affreusement peur.
Mais ce soir il n’y a personne, pense-t-elle. Il y a bien sûr des symboles : la lune, les nuages. Le vent, un peu. Les ronflements du tourniquet. Le toboggan, qui, sans que la balançoire le sache, en pince pour elle.
Elle se sent joyeuse. Elle ignore pourquoi, ou du moins le sent vaguement mais ne saurait l’expliquer. Il y a quelque chose de plus que l’absence d’adultes, que l’absence d’enfants. Elle sait qu’une balançoire vide est triste, qu’une balançoire vide ne peut être joyeuse qu’à grand vent, quand le vent joue avec elle comme avec un ami. Mais quand le vent est doux, et rappelle seulement son existence par de légers coups, quand la nuit est tombée, le square déserté, l’air presque à la bruine, la balançoire se doit d’être triste, elle le sait.
Mais ce soir, elle ne sait pas.

Pierre Le Corre

lundi 8 décembre 2008

main engourdie - James Beaver

A son réveil, une sensation familière le saisi. Une perception aiguë de fourmillements dans sa main. Encore. Ses doigts restent sourds à toutes injonctions mentales qu'il leur adresse. Vaincus par la paresse, ils se complaisent dans cette gaine inhibitrice de picotements.
Il ne ressent pas de souffrance. A peine est-ce désagréable, cet élancement léger et vaporeux. Faudra qu'il attende que cela passe. Tout simplement. Certains de ses membres s'engourdissent facilement, du moins le suppose-t-il. Et il lui arrive souvent de s'endormir dans une position qui altère la bonne circulation du sang.


Enfant, se rappelle-t-il, il détestait et s'effrayait de ces instants, où son corps refusait d'obéir à son esprit. Dans la voiture, il s'endormait souvent jambes repliées, et se trouvait à son réveil dans la totale incapacité de les bouger. Ankylosées. Il avait alors beau se concentrer intensément, sur ses pieds, il ne parvenait pas à remuer le moindre de ses muscles. Seul le contact du sol, et quelques premiers pas difficiles, lui permettait de retrouver ses facultés motrices. Adepte des représentations imagées, il en avait conclu que ses jambes s'oubliaient dans le sommeil. Des guibolles distraites, en quelque sorte. La conscience de son corps devait rester derrière, inamovible, tandis que la voiture roulait sur l'autoroute. Une enveloppe mentale immatérielle, s'imaginait-t-il, se détachait de lui et le quittait, alors qu'il s'enfonçait dans son rêve. Mais sachant par expérience qu'une telle sensation, aussi désagréable soit-elle, n'était somme toute qu'éphémère, la peur s'évanouit bientôt. La frayeur qu'il ressentait lors de ces réveils insolites fit place à une franche curiosité. Il en jouait souvent dans la poursuite de son rêve. Il s'imagina tour à tour aventurier estropié à la jambe, soldat blessé au bras, gangster résistant à la douleur d'une balle sous la peau. Songeur parfois, il se demandait si la mort serait comparable à cette sensation éprouvée. Si glisser dans le sommeil éternel signifiait seulement oublier son corps; le laisser choir dans un doux élancement, l'abandonner à cette somnolence factice. Sobriété d'enfant. Il avait presque plaisir à penser tout son corps inerte, latent, tout à la fois mort et à l'écoute de ses sens.


Aujourd'hui, pourtant, la sensation lui semble encore plus violente, presque douloureuse. Lancinante. Gardant les yeux fermés, il attend patiemment l'instant de la délivrance où il deviendra à nouveau maître de ses doigts. Mais l'élancement reprend de plus belle, la souffrance gonfle et se joue, maligne, de son calme vain. Excédé. Il se retourne sur le côté, et fustige du regard cette main revêche à lui obéir. Mais non, elle n'est pas là. Disparue dans son sommeil. A sa place, un vide béant juste en-dessous de son bras, d'un moignon qu'une gaine blanche et rougie recouvre. D'ailleurs le pansement n'a pas suffi à contenir le flux de sang, qui s'est répandu sur le drap du lit. Blanc et rouge. Il se détourne de cette vision horrifique, et perçoit alors l'univers dans lequel il est plongé : une chambre d'hôpital aux murs nus, lui-même allongé dans un lit métallique, insensible. Insensé. Dans un éclair, il se rappela alors: hier, l'accident, l'ambulance, l'opération, probablement. Un éclair rouge et blanc.

James Beaver

Ma vérité - Byl-na

Ma vérité

J’rap la vérité
Celle qui a le don d’irriter
Dont peu en sont héritier
Issu de la cité
Dès qu’on réussi ils ne sont pas là à nous citer
Plutôt à nous inciter
A rester
Dans la voie de l’illicite et
Regarde dès qu’ils parlent de nous
Ils disent « ces voyous », « ces fils d’immigrés »
Donc normal que mes frères le prennent mal
Se sentent exclu de cette société
Ils nous parlent d’intégration
Mais ça fait plus de trois générations
Qu’on est sur votre sol
Non ! Qu’on est sur notre sol
A ceux qui volent, violent
Arrêtez de nous assimiler
Car 10 personnes ne traduisent pas le comportement de milliers
Loin du discours de Le Pen ou de De Villiers
Qui ne sert qu’à humilier
À stigmatiser, généraliser
La violence, la haine ne fait que s’attiser
La cigarette du mensonge j’en ai marre de la tiser*
Arrêtez de détourner le débat sur le voile
Car la vérité vous l’a voilé

Byl-na

Errance - Octan d'Aurmale

.Les draps avaient l'odeur du café qu'il buvait.
Brûlant, très noir, trop sucré, comme il le prenait toujours au réveil.
La chambre était grande et claire. Une fenêtre lui faisait face qui ouvrait sur tout un monde pressé, hanté de succès légers, de bons mots cinglants et de gros titres attrayants. Il pouvait ressentir les vibrations exhaltées qui animent les jeunes lions débarqués de leurs écoles huppées, qui se font un monde de quelques confettis bien rémunérés de l'économie de marché.
Il était fatigué et jouait à faire pivoter un briquet entre ses doigts.
Il gratifia son lit d'un de ces regards embrassant qui ont valeur de bilan. L'édition anti-datée du Monde et son supplément économique, son ordinateur portable ouvert sur la page-profil qu'il ne cessait de recréer, deux livres d'Hemingway comme il n'en écrirait jamais, un stylo plume, une montre, son i-phone. Etrange liste poétique d'un jeune homme ennuyé comme d'autres avaient été énervés.
Une belle journée s'annonçait au micro des radio-célébrités d'Ova.

Il se réveillait de cinq années d'amour frustrée. Un long tête à tête improvisé au rythme emboité d'un tango ambiguë. Oh, il avait aimé sans regrets ! La fille était belle et l'histoire compliquée, amitié troublée de déclarations enflammées, sans suite. Il y mettait un point final. Fini donc, les jeux cruels auxquels ils s'étaient adonnées ces dernières années, se blesser par Autres interposés. Se baiser par procuration. Enfin, se voiler les idées.
Aujourd'hui, tout allait changer.

Instantanément tout se tu autour de lui.

La poussière balaya toute pensée sur son chemin.

Blanc de cendre, noir de plâtre en particules, il cracha du sang.
Aucun bruit dans la nuit de suie.
Tout était blanc à présent.

Une autre fraction d'éternité et ses pupilles l'ont brûlées et sa peau s'est tanée, sans qu'il parvienne à le réaliser.

Il était frappé de stupeur, la peur au coeur. Mais ses yeux s'étaient asséchés, aucune larme ne pu le soulager. Il restait pétrifié. La douleur était trop forte à supporter, alors son corps l'oublia, pour exister encore.
Sans sens pour accrocher la réalité, il ne su rien avant de sombrer, saisi, au milieu d'une trouée de fumée.

Errance.
Dirigé par la déflagration qui avait emportée les belles années.
Le quotidien violé s'échappait en éclats de soi.
Une longue gueule de bois dont on ne parvenait pas à se défaire, défait de tout.
Ainsi ses souvenirs n'en était pas...

Octan d'Aurmale

Cet été, Bonne Maman est morte. - Foucauld Giuliani

Cet été, Bonne Maman est morte.

Les mois qui précédèrent son décès furent singuliers dans la mesure où sa maladie fut particulièrement foudroyante. Elle n’eut pas le temps de changer.

Le changement agit sur le reconnaissable, il modèle le familier, il malaxe l’identité, il affecte l’image, la représentation d’un être ou d’un objet cher. Le changement prélude à la disparition, il chante la mort, bien doucement, jusqu’à l’embrasser et se confondre avec elle. Cet accouplement hâtif, violent accouche de la mutation définitive.

Pour l’être, c’est la disparition.

Elle, n’a pas changé. Du moins, son image est restée celle de la femme vivante, active et affairée. Certes, le changement agissait, il érodait, il effectuait son éternel travail de sape et d’usure, sur l’accomplissement des gestes habituels, sur l’enchaînement des pensées, mais son murmure semblait naturel, évident. Ces vagues de fond nous travaillent tous, elles s’étendent largement dans le temps. Perverses, elles n’incarnent pas le véritable changement. Elles lui offrent les attributs de flegme et de lenteur. Elles le rendent tolérable. « Laissons le tranquille, il fait son métier, il accomplit simplement le mouvement de la vie, il est si sage. Ne l’apeurons pas, nous le brusquerons, nous n’aboutirons qu’à accélérer son entreprise. »

Chez Elle, les vagues de fond se métamorphosèrent en lames meurtrières.
A la bonace succéda la tempête, et le navire encalminé, comment comprit-il ce déchaînement imprévisible ? Le doux tangage du temps qui passe, régulier et attendu, se mua. Les torrents affluèrent, en cadence effrénée, ils affolèrent.

Et ils renversèrent.

Foucauld Giuliani

mardi 11 novembre 2008

D'abord elle ne pensait à rien - Anonyme

D'abord elle ne pensait à rien. Puis elle s'est rappelé qu'elle n'avait pas sorti les poubelles.N'avait-elle rien de mieux à penser, cette suicidée de 28 ans ? Pour la première fois dans sa vie elle appréciait le vent qui glissait à la verticale dans ses cheveux. Qu'il devait être beau, vu de loin, son saut de l'ange. Bizarrement les anges, aujourd'hui elle avait décidé de leur sourire.

Elle s’appelait Sucre, avait la peau comme une nacre bien vivante, et souriait beaucoup. Elle avait fait ce geste de façon totalement aléatoire, sans réel chagrin et sans vrai désespoir ; cependant elle y était, lancée dans le vide dans les tous derniers instants de sa vie. Peut-être que cela ne voulait rien dire ; peut-être que cela signifiait : « Maintenant, profite ! ».
Elle n'avait rien prévu cette après-midi, et pourtant tout était parfait. Sa vie était devenue claire et lumineuse, elle avait laissé au 8ème étage tous ses petits problèmes d'enfant. "Je n'ai jamais rien aimé" s'est dit la presque-morte, "sauf la glace au citron". Et puis tout est devenu bon et piquant comme de la glace au citron. C'est fou ce à quoi on pense dans des moments pareils, encore à quelques mètres du bitume sec.
Il y avait le chat, Papa et Maman dont elle ne garde rien qu’un nom, les papiers en désordre dans la corbeille du salon et que quelqu'un fouillera tôt ou tard. Voila l'instant T, le coup du match, et elle reste pourtant frivole, à penser à ces choses. Elle se sentait un peu sotte aussi, de ne pas vivre le moment dans une pureté intégrale.

« Je n'ai jamais rien aimé, ni personne d'ailleurs » : c’était le coup de la mélancolie ! La désespérée gagnait de la vitesse et commençait à avoir le bout du nez froid. Et des papillons dans l'estomac, comme quand on fait de la balançoire un peu trop vite. Ou qu'on saute du 8ème étage. Elle trouvait ça très agréable. A quelques secondes du macadam, elle ne s'était jamais sentie aussi libre, légère, et ressentait quelque chose d’indéfinissable comme la première gorgée de menthe à l'eau qu'on s'entend boire quand on a très soif.

Au fur et à mesure qu’elle réalisait, que sa vie n’était maintenant plus très longue, au moment où elle passait devant la fenêtre de la voisine du 1er, ses pensées fusaient tous azimuts. Et que n’avait elle pas vécu ? Elle avait passé la vie, l’Amour. La vieillesse, le corps et les meilleures senteurs, elle n’en savait rien. N’avait pas vu ses enfants, Dieu, le soleil par en face… l’Amérique !

Et puis, patratras…

Anonyme