lundi 20 octobre 2008

Elle descend de l'avion - Barbara HEBRARD

Elle descend de l’avion. En se tortillant. Cul à droite. Cul à gauche. Un balancier régulier. Un métronome parfait. De face, on imagine déjà le beau petit cul. Un sourire discret. Les cheveux au vent, ramenés sur le devant. Grande. Brune. Belle.

Lui, à côté. Ils se tiennent par la main. Grosses lunettes. Costard sombre. Cravate. La classe. Un peu bedonnant. Pour son âge, c’est normal. Plus petit qu’elle.

Ils se tiennent par la main. Ils avancent. Synchroniquement. Presque majestueusement. Un brin people. Les gardes du corps, pas très loin derrière, sans doute focalisés sur ce petit cul, ce petit cul en balancier, qui se trémousse au fil du vent. Forcément distraits.

Ils avancent, souriants, dans la chaleur suave de l’air ensoleillé. Marche par marche. Sur un tapis rouge. Glamour. Dernière marche. La dernière avant de toucher le sol. Et puis, un sifflement dans l’air. Quelque chose se passe sur le tapis. Comme si une force invisible le tirait. Alors, comme un château de cartes qui lentement s’écoule, il glisse sur le tapis. Dans un mouvement fluide et lent. Comme sur un toboggan. Pendant ce temps, elle est restée debout. Elle a juste senti une main lui échapper. Puis comprend l’instant d’une seconde.

Merde. Infarctus ? Il fait un footing tous les matins, mais à son âge, c’est fréquent. Prise d’un mouvement de recul, elle se penche. Une petite goutte de sang perle et se fond dans le rouge du tapis. Elle crie. D’horreur. Lui. Ce n’est pas possible.

Un mouvement de panique. Un instant de psychose. Elle qui crie. Ne se soucie même plus de ce qui l’entoure. En se baissant, sa minijupe se soulève et dévoile son petit cul. Autour, les gardes du corps semblent ne pas comprendre, atterrés par la scène qui vient de se dérouler. Sous leurs yeux. Comme ça. En plein jour. Venant de nulle par. Il a juste glissé le long du tapis. Rouge. En bas, les journalistes. Abasourdis. La scène se passe au ralenti. Comme dans un film. Elle a l’impression de voir les autres en fond d’écran, des visages, des corps qui passent. Réalisant peu à peu, mais refusant de comprendre. La réalité dépasse l’entendement. Le cerveau peine à admettre l’irréalisable. Les secours arrivent. Tout le monde est affolé. Des bonhommes rouges et oranges. Comme sur un plateau de dames. Des pions qui se déplacent. Une ambulance arrive. Civière. Massage cardiaque. On l’emmène. Il est parti. La scène est finie. Elle peut maintenant s’effondrer. Alors de son poids plume elle glisse aussi sur le tapis. Dans sa chute elle aurait pu se casser une cheville vu la hauteur de ses talons. Ces hauts talons compensés. En plastoc. Un corps sur fond rouge. Ils l’emmènent aussi. La garce.

Je suis assis devant mon écran, dans cet immeuble pourri. Canapé défoncé, une chaise, un lit. Ma piaule quoi. Mais j’aime l’ambiance de merde qui règne ici. Comme ma vie de merde. Ils m’ont bien payé. J’ai plein de pognon. Je me casse dans trois heures. La Floride, ça me plaît bien. Je regarde un vieux film pourri mais je m’en fous. Le poste capte qu’une seule chaîne. La fille à l’écran se fait sauter. Je ne suis même pas excité. Je ne bande même pas. Avec l’âge, je deviens de plus en plus difficile. Alors, je me masturbe là, devant cette fille immonde, dans cet immeuble minable. Je n’éprouve même plus de plaisir. Je suis frustré. Vivement que je me casse. Je remonte ma braguette. L’image se brouille. La fille disparaît.

Flash spécial. Putain ils nous emmerdent. Flash spécial. Extrême importance. Ils font vraiment chier ces connards. J’écoute quand même.

Et puis dans un mouvement de rage, je fous la télé en l’air. Elle implose. Toute seule. Dans un grand fracas. Le poing en sang. Putain ces connards. Comment c’est possible. J’avais bien visé pourtant. Faut que je me tire. Vite. Valise. Papiers. Billets. La seringue sur le bord du lavabo. Un gars comme moi, on l’élimine vite. J’ai une chance. Ils savent pas que c’est moi. J’ai laissé aucune trace. J’ai de l’avance. Putain c’est vraiment la merde. L’autre connard s’en est sorti. Pourtant je suis sûr d’avoir bien visé. Ma carrière est foutue. On va me rechercher s’ils trouvent ma trace. Et les autres vont vouloir récupérer le pognon. M’éliminer aussi. Pas que je parle. De toute façon, je suis cuit. Un gars comme moi, un salaud, un connard, on s’en fout. Grouille-toi, putain, grouille. La Floride, vite. Tout ça pour un règlement de compte et une histoire de fesses. Une histoire de garces. Tous les mêmes ces politiques. Je voulais pas pourtant être mêlé à leurs histoires, et puis comme j’avais besoin de fric…

Elle est assise là. Dans un fauteuil en cuir. Robe rouge moulant ses petits seins et son petit cul. Elle est belle mais un peu desséchée. On imagine sous la robe deux mamelons durs et dressés. Un peu trop maigre. Un verre de champagne à la main, elle regarde au loin. Sans voir. Perdue dans ses pensées. Elle exulte. Presque une envie de se faire sauter. Etonnamment. Cet enfoiré est buté. Bien fait pour sa gueule. C’est fini. Personne ne pensera à elle. A pris soin de dissimuler toutes les pistes. Hors d’atteinte. Avec du fric et de la perfidie, on fait bien les choses. Elle. Elle qui a tout pensé. Vengeance. Un gars arrive. Elle lui fait signe qu’elle veut être seule. Dans cette chambre d’hôtel somptueuse. Elle repense à ce connard. Celui qui l’a humiliée. Repense à son corps repoussant. Comment a-t-elle pu… Peut-être un instinct de chair, une envie de performance. Je peux me taper tout le monde. Au départ pourtant, elle l’aimait peut-être. Elle ne se souvient plus. Elle a oublié. Elle sait une chose : qu’elle ne le supportait plus. Sa voix. Son corps. Ses appels. Sa bite. Son omniprésence malgré la rupture. Malgré la distance. New York n’avait pas suffi à l’éloigner. Le rapace revenait dans sa vie. Et puis c’est devenu insupportable. Le pire, c’est quand il s’est mis avec cette garce. Personne n’y croyait. Je me sentais encore plus humiliée. De voir cette insolence émaner de cette fille. Je ne pouvais plus voir ça. Ni mon enfoiré d’ex-mari. Ni cette pute qui l’accompagnait. Salope. Je regardais le vernis de mes ongles. J’étais fière de moi. Rouge passion, parfaitement étalé. Minutieusement. Méticuleusement. Avec un pinceau, de haut en bas. Mouvements réguliers. French manucure. J’aime que les choses soient bien faites. Précision, ordre, justesse. En apparence, image de femme ordonnée. Tout bouillonne dans ma tête. Personne au monde ne soupçonnerait de telles pensées. Aussi vulgaires. Aussi immondes. Je ne suis pas ce genre de femmes. Je trempe mes lèvres dans le champagne. C’est frais. Exquis. Les bulles sont fines. Elles remontent vers la surface. Pétillantes. Insolentes. Comme je les aime. C’est quand même beau la vie. Je suis vengée. Tout est fini. Je suis tranquille. Son image ne me hantera plus.

Paris, hôpital Saint Anne. La plus grande chambre de l’hôpital. Un homme. Des draps blancs. Il mange un flamby, cet espèce de truc jaune immonde qu’on bouffe à la cantine. Un genre de yaourt au caramel. Une bouillie ferme. Dégueulasse. Pour l’instant, dans sa tête, c’est un peu comme un flamby. Il ne se souvient de rien. En train de descendre les marches. Le tapis rouge. Elle, à côté. Son sourire béat. Ses talons. Son cul, surtout… Les journalistes. Et puis, le ciel bleu. Quelque chose se dérobe sous mes pieds. Je tombe dans un tourbillon chaud. La même sensation que le matin après avoir fait l’amour. Des femmes, j’en ai connues. Je ne le dis pas trop haut, ça m’attirerait des scandales. Il y en a déjà suffisamment comme ça. Celles que je préfère je crois, c’est les brunes, grandes. Petits seins que tu tiens à peine dans la main. Qui se dressent de façon insolente. Longues jambes qui vous prennent en arceau. Vous emprisonnent. Petit cul qui balance. Gauche. Droite. Et ça vous accompagne en voyage, pour les réceptions officielles… Un chat qui vous suit, ronronnant constamment. 

 

J’ai tout de même quelques avantages. Heureusement. Enfin en attendant je suis là, cloué dans ce lit. J’ai quand même failli y passer. Ma petite chatte est là, câline, attentionnée. Pas très viril. Je me demande qui a bien pu faire le coup. Un malade. Un psychopathe. Apparemment, c’est un connaisseur. On ne sait pas d’où la balle est venue. Rien sur les caméras. Aucun suspect. Une vengeance divine ? Il faut dire que j’ai pu me faire pas mal d’ennemis… Enfin, l’essentiel est là. Je suis en vie. Avec ma petite chatte. La balle aurait aussi pu la toucher. Enfin, j’en aurais retrouvé une… Grande, brune. Ou j’aurais rappelé l’Autre. Cette autre qui a hantée ma vie, mon inconscient, qui restera toujours dans mon esprit, reine de mes fantasmes, de ma jouissance. Salope. Elle s’est cassée à New York. Ne répond pas à mes messages. A mes appels. Tant pis. Elle l’aura voulu. Sale garce. Dans la brume qui m’entoure, je souris à ma brune. Ma petite chatte. Elle me tend un autre flamby. Me nourrit à la cuillère. Maladroitement, une cuillère vient s’écraser sur le drap blanc. Gicle. Du sperme. Putain, fais gaffe. Essuie. Lèche. Pas très douée quand même… Pour l’instant, je suis dans ces draps. Mon rétablissement n’est pas encore officiel. Je ne sais pas si j’arriverais à redevenir celui que j’étais. Partout où j’irai, j’aurais peur je pense. En fait, je suis un vrai trouillard. Je l’ai toujours été. Je suis un branleur. Je n’ai pas de couilles.

 

Barbara HEBRARD

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