mardi 21 octobre 2008

Pain d'épice - Caporal CURZIO

Au Café des gens saoûls y viennent principalement de la vieille viande à comptoir, des éclopés de l'âme, des rêveurs aussi mais pas du style révolutionnaire. On y trouvait aussi de vieux pervers amateurs de frous-frous venus respirer la mousseline de la patronne et tâter de la cuisse, en rêve, auprès des danseuses légères. C'est là bien dans l'ensemble des gens seuls, ainsi que les amis des gens seuls qui viennent là. Cela donnait à leur solitude une bien étrange inspiration métaphysique : des pas tout à fait désespérés mais qui vendraient bien leur âme pour un demi chagrin de tendresse.

J’observais l’alcoolémie ambiante, tous les soirs attablée. Les habits de ceux qui en profitent sont de loques grises bien pelliculeuses, tout comme leurs vies en flocons d’avoine, sec et sans amour, qui pollue pas mal l’existence et qu’on balayera bientôt à jamais d’un revers de la main.

C'était un vieux tripot tout vert plein de putes vieille France bon marché qui ne font plus guère bander que quelques dégénérés ; trop usés dans leur coeur pour ça dans la rue et trop misérables pour ça en face : chez Nana, là où qu'on en trouvait des belles de Minettes, et de la pas rebelle en plus, c'était plus cher. J'y étais père maquereau depuis dix ans, près de Pantin, là qu'était un peu ma maison, en somme.

Je venais chez la concurrence, si l’on peut dire, parler avec la direction. J'avais un Coca-Cola sans glace (par économie). Les grosses bulles tièdes et brunes remontaient péniblement à la surface et faisaient toutes conglomérées les unes aux autres : "Pshhht !". Les plus épaisses et les plus indisciplinées formaient ensemble une couronne beige bulleuse prenant la forme du verre, déjà sali par l'entame de mes grosses lèvres. J'aurais souhaité être triton et m'y baigner plutôt qu'à être là dans ce rade. Si j'avais été un tout petit triton, du genre spermatozoïdal, j'aurais même pu foncer tout au fond et m'accrocher au gaz, le chevaucher en rodéo puis enfin me laisser couler par en bas de la mélasse liquide qui pour l'heure me collait bien aux dents. J'imaginais à présent mon rendez-vous qui était en retard.

On m’avait placé dans ce genre de résidus placards à balais où des mesquines offraient leurs corps dans les bordels pour cher sans doute, mais en totale discrétion. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que la maquerelle d’ici bas voulait m’amadouer, et je bandais un peu comme un salopard à vrai dire, à l’idée qu’une malheureuse viendrait me faire des choses dégoûtantes. J’étais d’habitude réticent à ces pratiques quoiqu’en ayant fait mon gagne-pain, mais ma morale s’était bien accommodée du scénario selon lequel, ne payant pas (j’étais ici « invité » en quelque sorte), il n’était pas question de prostitution.

J’entamais un second quart d’heure de fantasmagories diverses dans l’attente. Il y avait dans l’air une méchante lubricité toute vicieuse qui me faisait dire que la patronne faisait bien son métier, qu’une ambiance comme celle là manquait à mon tripot. Nous étions certes gens de bonne éducation en face, mais enfin je concède volontiers que l’obscène et le crapuleux faisaient monter en moi quelque chose de, Oh ! bien malpropre oui ! très insoupçonné aussi. J’entendais les bruits sourds de la musique derrière les murs en mur et la tapisserie rouge. La chaleur suffocante m’a fait retirer ma veste et liquider mon Coca chaud. La sensation que d’être dans cette pièce c’était comme être dans une bulle d’air propre dans cet environnement plutôt toxique me faisait me sentir bien.

Me trouver ainsi dans un lieu certes médiocre, mais comme un îlot dans une mer nauséabonde, me faisait parvenir quelques méditations. Chez moi, chez Nana, c’était tout propre, de l’idéal à perte de vue ! Du parfait aux murs des boîtes, et c’est là le problème ! Je veux dire par là que quand mes filles bien jolies vous tendent leur sexe glacé, vous agissez bien sûr, vous en trouvez l’énergie, mais enfin l’âme est comme morte en dedans, tout au moins, absente. J’étais ici dans l’atmosphère au sommet de l’excitation par quelque chose d’un peu mystique et sale. Tout tendu. Et la garce ! Ce rendez vous qui n’arrivait pas…

La porte s’ouvre. J’aperçois enfin ce que j’attends, bandé comme un arc prêt à décocher la flèche : c’est ma douce Lucie, mon amoureuse du Cours Elémentaire avec qui je partageais mon pain d’épice…

Caporal CURZIO

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