jeudi 11 décembre 2008

Neige qui fond - C.B.

Tout en gris, ça coule et suinte, ça grince comme un trombone estropié. Y a c’truc qui sonne faux, qui crisse…La lamentation des instruments, la nausée qui s’insinue, qui hurle en La mineur. Seconde angoissante, minute manquante…La mort de l’instant, comme celle d’un sourire. Le vacarme des larmes de pluie sur le zinc branlant. Froid métallique, son déglingué. Ruine de l’éphémère blancheur noircissant en rythme d’égouttement dégoutant.

C.B.

La joie de la balançoire vide - Pierre Le Corre

La balançoire joue son rôle, ou presque : elle pend et se balance. Oh, elle se balance doucement, le vent n’est pas bien fort. Et puis, il n’y a pas d’enfants dessus, pas de parents derrière, pas d’amoureux lovés, pas de saouls troublés. Il n’y a personne.
Ça n’est pas plus mal, pense-t-elle. Un peu de repos, enfin.
Elle est et reste l’attraction majeure du petit parc. La concurrence n’est pas bien rude, il est vrai. Le toboggan offre certes l’extase de l’accélération, de la chute, de l’abandon de son corps dans le mouvement, mais c’est si rapide, si bref ! Il faut sans cesse remonter, reprendre un à un chacun des barreaux, œuvrer de tout son corps pour arriver au sommet – on essaye d’aller vite, vite, de retourner à l’échelle, de se hisser rapidement, mais le travail, la peine reste beaucoup trop lourde pour la récompense.
Oh, et, bien sûr, il y a le tourniquet. Faut-il vraiment en parler ? Il se croit intéressant parce qu’il tourne. Tout ce qu’il récolte, c’est quelques mains moites qui viennent parfois s’y accrocher, tourner un peu, tenter de se faire peur ; mais il fait peur, il grince, il couine, il semble devoir rompre à chaque instant ; il fait trop peur, les enfants pleurent, couinent, fuient au bout d’un instant. Alors il couine encore un peu, pour signifier son dédain, et se tait. Tant mieux.
Il se tait mais il rage, on le sent, à une vibration sourde qui l’agite, surtout quand le jour s’efface, que s’approchent quelques moins-enfants, quelques adolescents, adulescents qui s’hasardent dans le parc. Alors, il feint le vent et grince, couine, grogne presque : venez me voir, dit-il, venez sur moi. Je suis drôle. Je suis amusant. Jouez avec moi ! Je suis un jouet pour vous ! Je suis la joie et la frayeur réunis, je suis la rouille qui traîne sur votre vieux vélo, la mousse qui sort de votre vieille peluche, je suis votre enfance !
Certains succombent à son discours, s’avancent, s’assoient. Ils ne tournent pas, ne tournoient pas : le tourniquet n’est pour eux qu’un fauteuil, plus fun que le banc. Mais bien vite, ils se sentent gênés, quelque chose, d’imperceptible, les trouble. Leur position est mal commode, la situation instable. L’un d’eux se relève, le tourniquet a une convulsion, les autres se lèvent à sa suite. Ils font quelques pas, désœuvrés sans vouloir l’admettre, continuent à parler s’ils parlaient, à se taire s’ils se taisaient.
Puis, celui qui a l’initiative, celui qui a su quitter en premier le tourniquet, va, sans savoir vraiment si il est guidé par le hasard des pas ou par une envie réelle, vers la balançoire, vers moi. Il attrape une de mes cordes distraitement, joue avec, me fait tourner, fait s’enrouler mes cordes. Les autres se sont rapprochés, et dans ce genre d’instant ils ne peuvent que se taire. Puis il me lâche, je me déroule, lentement, puis rapidement, retrouve ma force originelle, mon siège dodelinant encore un peu – c’est le tournis. Ce petit signe du siège, l’un d’eux lui trouve un air aguicheur ; ce n’est plus celui qui dirige, c’est un autre maintenant – une autre, en fait : celle qui ose quand l’autre n’ose plus. Elle s’assoit.
En s’aidant de ses pieds, elle se balance un peu. Celui qui dirige se place derrière elle, le troisième du groupe, celui qui est secrètement amoureux, s’écarte et regarde pousser et balancer. Il fait nuit, ou presque, à ce moment-là : il n’y a pour ainsi dire plus de temps ; ils basculent parfois longtemps. Celui qui est amoureux n’ose rien dire, n’ose rien faire ; en fait, il n’a aucune raison de dire ou de faire quoique soit, car il apprécie, profondément, le spectacle. Elle s’élève dans les airs, emplit son champ de vision : c’est l’extase ; elle revient, celui qui dirige emplit son champ de vision : c’est l’amertume. Et l’extase encore, et l’amertume encore.
Puis ils s’en vont, en un geste, en un coup de vent. Elle se lève, celui qui dirige se met à côté d’elle, ils se regardent, sourient ; l’amoureux reste à l’écart quelques instants, puis ils s’en vont. Ils n’ont plus rien à faire ici.
C’était aujourd’hui comme ce sera demain. Toujours la même scène, jamais les mêmes enfants. Après eux, c’est vraiment la nuit, la nuit en tant qu’elle est sordide, noire : la nuit qu’on peut aimer mais qui dérange toujours, la nuit dure, la nuit qui dure, qui s’attache. D’autres passent dans le parc, d’autres s’attardent auprès de la balançoire, s’assoient parfois dessus, s’y assoupissent, s’y réveillent. Mais ceux-là, on n’ose pas les évoquer : ce ne sont plus des enfants, ce sont des adultes, des gens tristes, toujours, saouls parfois, misérables souvent.
La balançoire n’a rien contre eux mais elle les hait ; elle les hait parce qu’ils lui rappellent qu’elle n’est qu’une balançoire, une balançoire impuissante, une marionnette, un objet, rien ; les gens passent, la touchent, l’utilisent, profitent d’elle ; les gens l’ignorent, la négligent. Quand l’un de ces adultes s’assoit sur elle, elle sent tout le poids de la résignation, et elle a peur, affreusement peur.
Mais ce soir il n’y a personne, pense-t-elle. Il y a bien sûr des symboles : la lune, les nuages. Le vent, un peu. Les ronflements du tourniquet. Le toboggan, qui, sans que la balançoire le sache, en pince pour elle.
Elle se sent joyeuse. Elle ignore pourquoi, ou du moins le sent vaguement mais ne saurait l’expliquer. Il y a quelque chose de plus que l’absence d’adultes, que l’absence d’enfants. Elle sait qu’une balançoire vide est triste, qu’une balançoire vide ne peut être joyeuse qu’à grand vent, quand le vent joue avec elle comme avec un ami. Mais quand le vent est doux, et rappelle seulement son existence par de légers coups, quand la nuit est tombée, le square déserté, l’air presque à la bruine, la balançoire se doit d’être triste, elle le sait.
Mais ce soir, elle ne sait pas.

Pierre Le Corre

lundi 8 décembre 2008

main engourdie - James Beaver

A son réveil, une sensation familière le saisi. Une perception aiguë de fourmillements dans sa main. Encore. Ses doigts restent sourds à toutes injonctions mentales qu'il leur adresse. Vaincus par la paresse, ils se complaisent dans cette gaine inhibitrice de picotements.
Il ne ressent pas de souffrance. A peine est-ce désagréable, cet élancement léger et vaporeux. Faudra qu'il attende que cela passe. Tout simplement. Certains de ses membres s'engourdissent facilement, du moins le suppose-t-il. Et il lui arrive souvent de s'endormir dans une position qui altère la bonne circulation du sang.


Enfant, se rappelle-t-il, il détestait et s'effrayait de ces instants, où son corps refusait d'obéir à son esprit. Dans la voiture, il s'endormait souvent jambes repliées, et se trouvait à son réveil dans la totale incapacité de les bouger. Ankylosées. Il avait alors beau se concentrer intensément, sur ses pieds, il ne parvenait pas à remuer le moindre de ses muscles. Seul le contact du sol, et quelques premiers pas difficiles, lui permettait de retrouver ses facultés motrices. Adepte des représentations imagées, il en avait conclu que ses jambes s'oubliaient dans le sommeil. Des guibolles distraites, en quelque sorte. La conscience de son corps devait rester derrière, inamovible, tandis que la voiture roulait sur l'autoroute. Une enveloppe mentale immatérielle, s'imaginait-t-il, se détachait de lui et le quittait, alors qu'il s'enfonçait dans son rêve. Mais sachant par expérience qu'une telle sensation, aussi désagréable soit-elle, n'était somme toute qu'éphémère, la peur s'évanouit bientôt. La frayeur qu'il ressentait lors de ces réveils insolites fit place à une franche curiosité. Il en jouait souvent dans la poursuite de son rêve. Il s'imagina tour à tour aventurier estropié à la jambe, soldat blessé au bras, gangster résistant à la douleur d'une balle sous la peau. Songeur parfois, il se demandait si la mort serait comparable à cette sensation éprouvée. Si glisser dans le sommeil éternel signifiait seulement oublier son corps; le laisser choir dans un doux élancement, l'abandonner à cette somnolence factice. Sobriété d'enfant. Il avait presque plaisir à penser tout son corps inerte, latent, tout à la fois mort et à l'écoute de ses sens.


Aujourd'hui, pourtant, la sensation lui semble encore plus violente, presque douloureuse. Lancinante. Gardant les yeux fermés, il attend patiemment l'instant de la délivrance où il deviendra à nouveau maître de ses doigts. Mais l'élancement reprend de plus belle, la souffrance gonfle et se joue, maligne, de son calme vain. Excédé. Il se retourne sur le côté, et fustige du regard cette main revêche à lui obéir. Mais non, elle n'est pas là. Disparue dans son sommeil. A sa place, un vide béant juste en-dessous de son bras, d'un moignon qu'une gaine blanche et rougie recouvre. D'ailleurs le pansement n'a pas suffi à contenir le flux de sang, qui s'est répandu sur le drap du lit. Blanc et rouge. Il se détourne de cette vision horrifique, et perçoit alors l'univers dans lequel il est plongé : une chambre d'hôpital aux murs nus, lui-même allongé dans un lit métallique, insensible. Insensé. Dans un éclair, il se rappela alors: hier, l'accident, l'ambulance, l'opération, probablement. Un éclair rouge et blanc.

James Beaver

Ma vérité - Byl-na

Ma vérité

J’rap la vérité
Celle qui a le don d’irriter
Dont peu en sont héritier
Issu de la cité
Dès qu’on réussi ils ne sont pas là à nous citer
Plutôt à nous inciter
A rester
Dans la voie de l’illicite et
Regarde dès qu’ils parlent de nous
Ils disent « ces voyous », « ces fils d’immigrés »
Donc normal que mes frères le prennent mal
Se sentent exclu de cette société
Ils nous parlent d’intégration
Mais ça fait plus de trois générations
Qu’on est sur votre sol
Non ! Qu’on est sur notre sol
A ceux qui volent, violent
Arrêtez de nous assimiler
Car 10 personnes ne traduisent pas le comportement de milliers
Loin du discours de Le Pen ou de De Villiers
Qui ne sert qu’à humilier
À stigmatiser, généraliser
La violence, la haine ne fait que s’attiser
La cigarette du mensonge j’en ai marre de la tiser*
Arrêtez de détourner le débat sur le voile
Car la vérité vous l’a voilé

Byl-na

Errance - Octan d'Aurmale

.Les draps avaient l'odeur du café qu'il buvait.
Brûlant, très noir, trop sucré, comme il le prenait toujours au réveil.
La chambre était grande et claire. Une fenêtre lui faisait face qui ouvrait sur tout un monde pressé, hanté de succès légers, de bons mots cinglants et de gros titres attrayants. Il pouvait ressentir les vibrations exhaltées qui animent les jeunes lions débarqués de leurs écoles huppées, qui se font un monde de quelques confettis bien rémunérés de l'économie de marché.
Il était fatigué et jouait à faire pivoter un briquet entre ses doigts.
Il gratifia son lit d'un de ces regards embrassant qui ont valeur de bilan. L'édition anti-datée du Monde et son supplément économique, son ordinateur portable ouvert sur la page-profil qu'il ne cessait de recréer, deux livres d'Hemingway comme il n'en écrirait jamais, un stylo plume, une montre, son i-phone. Etrange liste poétique d'un jeune homme ennuyé comme d'autres avaient été énervés.
Une belle journée s'annonçait au micro des radio-célébrités d'Ova.

Il se réveillait de cinq années d'amour frustrée. Un long tête à tête improvisé au rythme emboité d'un tango ambiguë. Oh, il avait aimé sans regrets ! La fille était belle et l'histoire compliquée, amitié troublée de déclarations enflammées, sans suite. Il y mettait un point final. Fini donc, les jeux cruels auxquels ils s'étaient adonnées ces dernières années, se blesser par Autres interposés. Se baiser par procuration. Enfin, se voiler les idées.
Aujourd'hui, tout allait changer.

Instantanément tout se tu autour de lui.

La poussière balaya toute pensée sur son chemin.

Blanc de cendre, noir de plâtre en particules, il cracha du sang.
Aucun bruit dans la nuit de suie.
Tout était blanc à présent.

Une autre fraction d'éternité et ses pupilles l'ont brûlées et sa peau s'est tanée, sans qu'il parvienne à le réaliser.

Il était frappé de stupeur, la peur au coeur. Mais ses yeux s'étaient asséchés, aucune larme ne pu le soulager. Il restait pétrifié. La douleur était trop forte à supporter, alors son corps l'oublia, pour exister encore.
Sans sens pour accrocher la réalité, il ne su rien avant de sombrer, saisi, au milieu d'une trouée de fumée.

Errance.
Dirigé par la déflagration qui avait emportée les belles années.
Le quotidien violé s'échappait en éclats de soi.
Une longue gueule de bois dont on ne parvenait pas à se défaire, défait de tout.
Ainsi ses souvenirs n'en était pas...

Octan d'Aurmale

Cet été, Bonne Maman est morte. - Foucauld Giuliani

Cet été, Bonne Maman est morte.

Les mois qui précédèrent son décès furent singuliers dans la mesure où sa maladie fut particulièrement foudroyante. Elle n’eut pas le temps de changer.

Le changement agit sur le reconnaissable, il modèle le familier, il malaxe l’identité, il affecte l’image, la représentation d’un être ou d’un objet cher. Le changement prélude à la disparition, il chante la mort, bien doucement, jusqu’à l’embrasser et se confondre avec elle. Cet accouplement hâtif, violent accouche de la mutation définitive.

Pour l’être, c’est la disparition.

Elle, n’a pas changé. Du moins, son image est restée celle de la femme vivante, active et affairée. Certes, le changement agissait, il érodait, il effectuait son éternel travail de sape et d’usure, sur l’accomplissement des gestes habituels, sur l’enchaînement des pensées, mais son murmure semblait naturel, évident. Ces vagues de fond nous travaillent tous, elles s’étendent largement dans le temps. Perverses, elles n’incarnent pas le véritable changement. Elles lui offrent les attributs de flegme et de lenteur. Elles le rendent tolérable. « Laissons le tranquille, il fait son métier, il accomplit simplement le mouvement de la vie, il est si sage. Ne l’apeurons pas, nous le brusquerons, nous n’aboutirons qu’à accélérer son entreprise. »

Chez Elle, les vagues de fond se métamorphosèrent en lames meurtrières.
A la bonace succéda la tempête, et le navire encalminé, comment comprit-il ce déchaînement imprévisible ? Le doux tangage du temps qui passe, régulier et attendu, se mua. Les torrents affluèrent, en cadence effrénée, ils affolèrent.

Et ils renversèrent.

Foucauld Giuliani

mardi 11 novembre 2008

D'abord elle ne pensait à rien - Anonyme

D'abord elle ne pensait à rien. Puis elle s'est rappelé qu'elle n'avait pas sorti les poubelles.N'avait-elle rien de mieux à penser, cette suicidée de 28 ans ? Pour la première fois dans sa vie elle appréciait le vent qui glissait à la verticale dans ses cheveux. Qu'il devait être beau, vu de loin, son saut de l'ange. Bizarrement les anges, aujourd'hui elle avait décidé de leur sourire.

Elle s’appelait Sucre, avait la peau comme une nacre bien vivante, et souriait beaucoup. Elle avait fait ce geste de façon totalement aléatoire, sans réel chagrin et sans vrai désespoir ; cependant elle y était, lancée dans le vide dans les tous derniers instants de sa vie. Peut-être que cela ne voulait rien dire ; peut-être que cela signifiait : « Maintenant, profite ! ».
Elle n'avait rien prévu cette après-midi, et pourtant tout était parfait. Sa vie était devenue claire et lumineuse, elle avait laissé au 8ème étage tous ses petits problèmes d'enfant. "Je n'ai jamais rien aimé" s'est dit la presque-morte, "sauf la glace au citron". Et puis tout est devenu bon et piquant comme de la glace au citron. C'est fou ce à quoi on pense dans des moments pareils, encore à quelques mètres du bitume sec.
Il y avait le chat, Papa et Maman dont elle ne garde rien qu’un nom, les papiers en désordre dans la corbeille du salon et que quelqu'un fouillera tôt ou tard. Voila l'instant T, le coup du match, et elle reste pourtant frivole, à penser à ces choses. Elle se sentait un peu sotte aussi, de ne pas vivre le moment dans une pureté intégrale.

« Je n'ai jamais rien aimé, ni personne d'ailleurs » : c’était le coup de la mélancolie ! La désespérée gagnait de la vitesse et commençait à avoir le bout du nez froid. Et des papillons dans l'estomac, comme quand on fait de la balançoire un peu trop vite. Ou qu'on saute du 8ème étage. Elle trouvait ça très agréable. A quelques secondes du macadam, elle ne s'était jamais sentie aussi libre, légère, et ressentait quelque chose d’indéfinissable comme la première gorgée de menthe à l'eau qu'on s'entend boire quand on a très soif.

Au fur et à mesure qu’elle réalisait, que sa vie n’était maintenant plus très longue, au moment où elle passait devant la fenêtre de la voisine du 1er, ses pensées fusaient tous azimuts. Et que n’avait elle pas vécu ? Elle avait passé la vie, l’Amour. La vieillesse, le corps et les meilleures senteurs, elle n’en savait rien. N’avait pas vu ses enfants, Dieu, le soleil par en face… l’Amérique !

Et puis, patratras…

Anonyme

lundi 10 novembre 2008

Fleuve - Karel KARJALAN

Les ombres dorment sur le port
Tue les Valya !
Et sur le premier navire venu,
à la prochaine Marée,
embarque et fuis, encore, encore


Les absents ont toujours tort
Oublie les Valya !
Quand une flamme s’est perdue
les mots ne sont plus, étrangers,
que des fumées, des Sémaphores.


Partis demain, aux aurores
Nous serons loin Valya !
et dans les mers du Sud inconnues,
sur l’Arche des oubliés,
nous en irons vers le Bosphore.


Tu crois entendre au-dehors
le chœur immense des disparus,
mais pas, profonds et continus,
les Accords familiers
de tous les chants des trompe-la-mort.


Ce ne sont donc plus les mers du Nord,
les maisons que tu as connues,
écoute les donc, elles se sont tues
les longues Plaintes mêlées
de ceux qui ne sont qu’un, et qui dort.

Karel KARJALAN

Mon frère dort - Foucauld GIULIANI

Mon frère dort.

Il ne dort pas recroquevillé comme certains. Non, mon frère dort étendu sur le dos, les mains le long du corps, les jambes droites. Sa respiration est régulière et ses paupières closes semblent accueillir dans leur renfoncement la pâle lumière de la nuit.

Mon frère a saisi la bonté de l’existence, il s’est donné à la nuit, il n’a pas cherché le sommeil.

Le sommeil l’a accueilli. Il a accepté le don de mon frère, il s’est emparé de ce corps confiant et serein. Il l’a empli de son souffle réconfortant.

Le sommeil apaise celui qui s’abandonne à son mystère ; il tourmente l’agité dont le corps tortueux se rend, résigné, accablé de fatigue, transpirant de n’avoir pu lui confisquer son secret.


Foucauld GIULIANI

mercredi 5 novembre 2008

L'inspiration que je n'ai pas - Barbara HEBRARD

L'inspiration
que je n'ai pas
va se transformer
en quelques lignes
en une suite
peut-être logique
de mots, qui,
bout à bout,
signifieront
un jour
quelque chose,
cette chose
qui veut dire
absence
d'inspiration
pour des mots
qui n'ont pas
de
langage.

 

Barbara HEBRARD.

Acte III Scène 5 (épilogue d'une tragédie roumaine) - Karel KARJALAN

            Acte III scène 5 (épilogue d'une tragédie roumaine)

 

Elle était étendue sur le sol poisseux d’un bouge de Constança, sereine, inanimée, morte.

 

Lorsque les plombs avaient transpercé sa poitrine, ne voulant pas croire que c’était elle qui avait été touchée, elle avait observé autour d’elle et avait essayé de convaincre du regard les clients qu’elle était indemne. A leurs visages horrifiés, elle avait compris qu’il était temps de tomber, et n’y tenant plus, s’était laissée choir parmi les mariniers, les « commerçants du soir », les chauffeurs de taxi et les hôtesses qui hantaient encore le bar.

Malgré la musique dance bulgare qui continuait de battre au rythme de son cœur, et les néons qui diffusaient une faible lumière bleutée pour persuader les clients que la nuit ne finirait pas, le soleil s’était levé sur la mer Noire. Le premier rayon du jour avait frappé la salle sombre lorsque la porte s’était ouverte ; instinctivement, elle avait tourné la tête, mais en fait de croiser ses yeux, elle n’avait pu percevoir que le reflet du soleil sur l’arme et l’étincelle qui avait jailli lorsqu’il avait tiré, trois fois… Mourir au lever du jour n’était somme toute pas si difficile, mais agoniser étendu à côté de son assassin, là est l’inacceptable.

L’homme hirsute, chétif et aux traits fins et au visage blafard, qu’elle avait aimé autrefois et qui lui avait tiré dessus, avait aussitôt pris le parti de faire se répandre son propre sang sur le même sol où elle s’était écroulée. Dégoûtée à l’idée de voir leurs fluides se mêler une nouvelle fois, elle roula sur elle même et chercha à se relever, en prenant appui sur ses coudes, mais elle mit fin à son effort lorsqu’elle sentit un voile se poser sur ses yeux, et résolue, se laissa retomber sur le dos. Arrachant une épaule au sol, elle jeta un regard à l’autre ; il avait réussi à s’enlever la vie proprement ; le rat, les bras en croix, ne bougeait plus, tandis qu’un filet d’hémoglobine, par un flux régulier, s’échappait de son globe oculaire. Rassurée, elle laissa son regard se porter vers le bassin à flot par lequel les eaux brunes du Fleuve se déversaient dans la mer ; un porte conteneur flambant neuf en sortait, sur sa poupe avait été peint en caractères cyrilliques son nom ainsi que son futur port d’attache :  Moldavanka  - Odessa

Aurait-elle le temps de le voir disparaître à l’horizon ou perdrait-elle connaissance avant ? Tandis qu’elle songeait s’affairait autour d’elle la troupe des noctambules paniqués et maladroits ; on lui proposait de l’eau, de la twsika, un vieux matelot parlait de chirurgie de marine, et d’autres s’assuraient de la mort du tireur en assénant à son corps de violent coups de bottes dans les côtes. Elle porta la main à son ventre, la retira aussitôt, poisseuse, puis regarda encore une fois vers le bateau. Lentement, il sortait de la rade, lentement, sans heurts, inéluctablement…

 

Elle avait laissé ses yeux se fermer. Soudain il faisait jour.

Karel KARJALAN

Danse éclatée - Baptiste BLOCH

1.

Vision d’azur

En pente rase

 

Sur la jetée

S’estompe verte

 

Cette robe

 

2.

Sombre glisse

L’ombre lisse

 

Et libre enfin

Musique

 

3.

La brume bleue

Bascule

Se brise

 

La bise au bal

 

Baptiste BLOCH

jeudi 30 octobre 2008

Votez Revue très Blanche !

Les votes ont commencé ce matin et durent jusqu'à lundi. Soutenez la nouvelle revue littéraire ici. N'oubliez pas qu'il est important de soutenir de petites associations.

Si nous sommes reconnus, à suivre très rapidement : mise à jour du blog et sortie du numéro 1 en papier !

mardi 21 octobre 2008

Cigarette - Anonyme

Elle avait des lèvres toutes roses et des dents toutes blanches. Assise sur un mur, elle fumait une fumée pas fumée qui partait doucement dans les airs, et faisait l'effet du lait qui se dissipe. Elle semblait tout à fait légère, s' envolant ainsi, et pourtant parfaitement lourde à la nuit, cette fumée blanche. Elle faisait des arabesques et des circonvolutions improvisées sous la lumière. A mes questions, elle a répondu qu'elle sacrifiait sa jeunesse pour la pure esthétique de cinq minutes ; son argument m'a convaincu.

Anonyme.

Maton, t'es con - Gilles LETELIER

Maton, t’es con. C’est craché, pas justifié ? Bling-bling médullaire des heures léthéenes, ça lance dans ma tête, salope de migraine. Et des loquets qui puent le stupre ; le stupre des impasses auxquelles je colle mon œil avide. Enflure, ça me tue. Maton, t’es con. Te prive pas, continue ton rituel obscène à en gerber mes viscères, dandine ton cul repu dans les bas-fonds de c’te pute liberté, où j’peux même pas foutre les pieds. Maton, t’es con. Même ta bonhommie obséquieuse, elle m’esquinte, m’assassine. Je t’attrape, je te crève. Ravale ta dope de dupe, tes oripeaux doucereux ; j’ai le sourire carnassier. Dans l’obscurité où on crèche, ça résonne faux-perché, tes gros souliers, à s’pavoiser. T’es le sel de notre peine : on t’exècre. Maton, t’es con. Et gaffe au mimétisme, toi et moi, à une porte toute près, on est d’la même et pire espèce, d’celle qui lèche la fosse sceptique d’madame Société. Maton, t’es con. Traine pas trop au tournant ou j’te ferai misère. Tombé une fois, peut-être même quelques fois mais comment qu’j’me relève, toi qui es si malin ? Clapier puant ; promiscuité maladive ; chairs écorchées, solitudes exilées : et être, comment? Rien à quoi s’raccrocher, que des parois suintantes. J’te tousserais ma tuberculose de damné. Maton, t’es con. Ya pas de prise, pas d’emprise. J’me casse les dents sur les barreaux, rien que pour ressentir ; d’ma mine patibulaire, j’fais craquer les molaires. J’m’âbime, me mutile ; qu’importe, ça rend moins mort que vie. Maton, t’es con. T’as rien fait ? Que tu dis. T’as oublié alors viens pas pleurer quand j’remplis tout mon vide phystique d’un « maton, t’es con ». Moi, j’ai plus que ma haine pour pas taire – comme tu l’as fait, comme ils l’ont fait – qu’suis pas autre chose qu’un Homme.

Gilles LETELIER

Pain d'épice - Caporal CURZIO

Au Café des gens saoûls y viennent principalement de la vieille viande à comptoir, des éclopés de l'âme, des rêveurs aussi mais pas du style révolutionnaire. On y trouvait aussi de vieux pervers amateurs de frous-frous venus respirer la mousseline de la patronne et tâter de la cuisse, en rêve, auprès des danseuses légères. C'est là bien dans l'ensemble des gens seuls, ainsi que les amis des gens seuls qui viennent là. Cela donnait à leur solitude une bien étrange inspiration métaphysique : des pas tout à fait désespérés mais qui vendraient bien leur âme pour un demi chagrin de tendresse.

J’observais l’alcoolémie ambiante, tous les soirs attablée. Les habits de ceux qui en profitent sont de loques grises bien pelliculeuses, tout comme leurs vies en flocons d’avoine, sec et sans amour, qui pollue pas mal l’existence et qu’on balayera bientôt à jamais d’un revers de la main.

C'était un vieux tripot tout vert plein de putes vieille France bon marché qui ne font plus guère bander que quelques dégénérés ; trop usés dans leur coeur pour ça dans la rue et trop misérables pour ça en face : chez Nana, là où qu'on en trouvait des belles de Minettes, et de la pas rebelle en plus, c'était plus cher. J'y étais père maquereau depuis dix ans, près de Pantin, là qu'était un peu ma maison, en somme.

Je venais chez la concurrence, si l’on peut dire, parler avec la direction. J'avais un Coca-Cola sans glace (par économie). Les grosses bulles tièdes et brunes remontaient péniblement à la surface et faisaient toutes conglomérées les unes aux autres : "Pshhht !". Les plus épaisses et les plus indisciplinées formaient ensemble une couronne beige bulleuse prenant la forme du verre, déjà sali par l'entame de mes grosses lèvres. J'aurais souhaité être triton et m'y baigner plutôt qu'à être là dans ce rade. Si j'avais été un tout petit triton, du genre spermatozoïdal, j'aurais même pu foncer tout au fond et m'accrocher au gaz, le chevaucher en rodéo puis enfin me laisser couler par en bas de la mélasse liquide qui pour l'heure me collait bien aux dents. J'imaginais à présent mon rendez-vous qui était en retard.

On m’avait placé dans ce genre de résidus placards à balais où des mesquines offraient leurs corps dans les bordels pour cher sans doute, mais en totale discrétion. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que la maquerelle d’ici bas voulait m’amadouer, et je bandais un peu comme un salopard à vrai dire, à l’idée qu’une malheureuse viendrait me faire des choses dégoûtantes. J’étais d’habitude réticent à ces pratiques quoiqu’en ayant fait mon gagne-pain, mais ma morale s’était bien accommodée du scénario selon lequel, ne payant pas (j’étais ici « invité » en quelque sorte), il n’était pas question de prostitution.

J’entamais un second quart d’heure de fantasmagories diverses dans l’attente. Il y avait dans l’air une méchante lubricité toute vicieuse qui me faisait dire que la patronne faisait bien son métier, qu’une ambiance comme celle là manquait à mon tripot. Nous étions certes gens de bonne éducation en face, mais enfin je concède volontiers que l’obscène et le crapuleux faisaient monter en moi quelque chose de, Oh ! bien malpropre oui ! très insoupçonné aussi. J’entendais les bruits sourds de la musique derrière les murs en mur et la tapisserie rouge. La chaleur suffocante m’a fait retirer ma veste et liquider mon Coca chaud. La sensation que d’être dans cette pièce c’était comme être dans une bulle d’air propre dans cet environnement plutôt toxique me faisait me sentir bien.

Me trouver ainsi dans un lieu certes médiocre, mais comme un îlot dans une mer nauséabonde, me faisait parvenir quelques méditations. Chez moi, chez Nana, c’était tout propre, de l’idéal à perte de vue ! Du parfait aux murs des boîtes, et c’est là le problème ! Je veux dire par là que quand mes filles bien jolies vous tendent leur sexe glacé, vous agissez bien sûr, vous en trouvez l’énergie, mais enfin l’âme est comme morte en dedans, tout au moins, absente. J’étais ici dans l’atmosphère au sommet de l’excitation par quelque chose d’un peu mystique et sale. Tout tendu. Et la garce ! Ce rendez vous qui n’arrivait pas…

La porte s’ouvre. J’aperçois enfin ce que j’attends, bandé comme un arc prêt à décocher la flèche : c’est ma douce Lucie, mon amoureuse du Cours Elémentaire avec qui je partageais mon pain d’épice…

Caporal CURZIO

lundi 20 octobre 2008

Elle descend de l'avion - Barbara HEBRARD

Elle descend de l’avion. En se tortillant. Cul à droite. Cul à gauche. Un balancier régulier. Un métronome parfait. De face, on imagine déjà le beau petit cul. Un sourire discret. Les cheveux au vent, ramenés sur le devant. Grande. Brune. Belle.

Lui, à côté. Ils se tiennent par la main. Grosses lunettes. Costard sombre. Cravate. La classe. Un peu bedonnant. Pour son âge, c’est normal. Plus petit qu’elle.

Ils se tiennent par la main. Ils avancent. Synchroniquement. Presque majestueusement. Un brin people. Les gardes du corps, pas très loin derrière, sans doute focalisés sur ce petit cul, ce petit cul en balancier, qui se trémousse au fil du vent. Forcément distraits.

Ils avancent, souriants, dans la chaleur suave de l’air ensoleillé. Marche par marche. Sur un tapis rouge. Glamour. Dernière marche. La dernière avant de toucher le sol. Et puis, un sifflement dans l’air. Quelque chose se passe sur le tapis. Comme si une force invisible le tirait. Alors, comme un château de cartes qui lentement s’écoule, il glisse sur le tapis. Dans un mouvement fluide et lent. Comme sur un toboggan. Pendant ce temps, elle est restée debout. Elle a juste senti une main lui échapper. Puis comprend l’instant d’une seconde.

Merde. Infarctus ? Il fait un footing tous les matins, mais à son âge, c’est fréquent. Prise d’un mouvement de recul, elle se penche. Une petite goutte de sang perle et se fond dans le rouge du tapis. Elle crie. D’horreur. Lui. Ce n’est pas possible.

Un mouvement de panique. Un instant de psychose. Elle qui crie. Ne se soucie même plus de ce qui l’entoure. En se baissant, sa minijupe se soulève et dévoile son petit cul. Autour, les gardes du corps semblent ne pas comprendre, atterrés par la scène qui vient de se dérouler. Sous leurs yeux. Comme ça. En plein jour. Venant de nulle par. Il a juste glissé le long du tapis. Rouge. En bas, les journalistes. Abasourdis. La scène se passe au ralenti. Comme dans un film. Elle a l’impression de voir les autres en fond d’écran, des visages, des corps qui passent. Réalisant peu à peu, mais refusant de comprendre. La réalité dépasse l’entendement. Le cerveau peine à admettre l’irréalisable. Les secours arrivent. Tout le monde est affolé. Des bonhommes rouges et oranges. Comme sur un plateau de dames. Des pions qui se déplacent. Une ambulance arrive. Civière. Massage cardiaque. On l’emmène. Il est parti. La scène est finie. Elle peut maintenant s’effondrer. Alors de son poids plume elle glisse aussi sur le tapis. Dans sa chute elle aurait pu se casser une cheville vu la hauteur de ses talons. Ces hauts talons compensés. En plastoc. Un corps sur fond rouge. Ils l’emmènent aussi. La garce.

Je suis assis devant mon écran, dans cet immeuble pourri. Canapé défoncé, une chaise, un lit. Ma piaule quoi. Mais j’aime l’ambiance de merde qui règne ici. Comme ma vie de merde. Ils m’ont bien payé. J’ai plein de pognon. Je me casse dans trois heures. La Floride, ça me plaît bien. Je regarde un vieux film pourri mais je m’en fous. Le poste capte qu’une seule chaîne. La fille à l’écran se fait sauter. Je ne suis même pas excité. Je ne bande même pas. Avec l’âge, je deviens de plus en plus difficile. Alors, je me masturbe là, devant cette fille immonde, dans cet immeuble minable. Je n’éprouve même plus de plaisir. Je suis frustré. Vivement que je me casse. Je remonte ma braguette. L’image se brouille. La fille disparaît.

Flash spécial. Putain ils nous emmerdent. Flash spécial. Extrême importance. Ils font vraiment chier ces connards. J’écoute quand même.

Et puis dans un mouvement de rage, je fous la télé en l’air. Elle implose. Toute seule. Dans un grand fracas. Le poing en sang. Putain ces connards. Comment c’est possible. J’avais bien visé pourtant. Faut que je me tire. Vite. Valise. Papiers. Billets. La seringue sur le bord du lavabo. Un gars comme moi, on l’élimine vite. J’ai une chance. Ils savent pas que c’est moi. J’ai laissé aucune trace. J’ai de l’avance. Putain c’est vraiment la merde. L’autre connard s’en est sorti. Pourtant je suis sûr d’avoir bien visé. Ma carrière est foutue. On va me rechercher s’ils trouvent ma trace. Et les autres vont vouloir récupérer le pognon. M’éliminer aussi. Pas que je parle. De toute façon, je suis cuit. Un gars comme moi, un salaud, un connard, on s’en fout. Grouille-toi, putain, grouille. La Floride, vite. Tout ça pour un règlement de compte et une histoire de fesses. Une histoire de garces. Tous les mêmes ces politiques. Je voulais pas pourtant être mêlé à leurs histoires, et puis comme j’avais besoin de fric…

Elle est assise là. Dans un fauteuil en cuir. Robe rouge moulant ses petits seins et son petit cul. Elle est belle mais un peu desséchée. On imagine sous la robe deux mamelons durs et dressés. Un peu trop maigre. Un verre de champagne à la main, elle regarde au loin. Sans voir. Perdue dans ses pensées. Elle exulte. Presque une envie de se faire sauter. Etonnamment. Cet enfoiré est buté. Bien fait pour sa gueule. C’est fini. Personne ne pensera à elle. A pris soin de dissimuler toutes les pistes. Hors d’atteinte. Avec du fric et de la perfidie, on fait bien les choses. Elle. Elle qui a tout pensé. Vengeance. Un gars arrive. Elle lui fait signe qu’elle veut être seule. Dans cette chambre d’hôtel somptueuse. Elle repense à ce connard. Celui qui l’a humiliée. Repense à son corps repoussant. Comment a-t-elle pu… Peut-être un instinct de chair, une envie de performance. Je peux me taper tout le monde. Au départ pourtant, elle l’aimait peut-être. Elle ne se souvient plus. Elle a oublié. Elle sait une chose : qu’elle ne le supportait plus. Sa voix. Son corps. Ses appels. Sa bite. Son omniprésence malgré la rupture. Malgré la distance. New York n’avait pas suffi à l’éloigner. Le rapace revenait dans sa vie. Et puis c’est devenu insupportable. Le pire, c’est quand il s’est mis avec cette garce. Personne n’y croyait. Je me sentais encore plus humiliée. De voir cette insolence émaner de cette fille. Je ne pouvais plus voir ça. Ni mon enfoiré d’ex-mari. Ni cette pute qui l’accompagnait. Salope. Je regardais le vernis de mes ongles. J’étais fière de moi. Rouge passion, parfaitement étalé. Minutieusement. Méticuleusement. Avec un pinceau, de haut en bas. Mouvements réguliers. French manucure. J’aime que les choses soient bien faites. Précision, ordre, justesse. En apparence, image de femme ordonnée. Tout bouillonne dans ma tête. Personne au monde ne soupçonnerait de telles pensées. Aussi vulgaires. Aussi immondes. Je ne suis pas ce genre de femmes. Je trempe mes lèvres dans le champagne. C’est frais. Exquis. Les bulles sont fines. Elles remontent vers la surface. Pétillantes. Insolentes. Comme je les aime. C’est quand même beau la vie. Je suis vengée. Tout est fini. Je suis tranquille. Son image ne me hantera plus.

Paris, hôpital Saint Anne. La plus grande chambre de l’hôpital. Un homme. Des draps blancs. Il mange un flamby, cet espèce de truc jaune immonde qu’on bouffe à la cantine. Un genre de yaourt au caramel. Une bouillie ferme. Dégueulasse. Pour l’instant, dans sa tête, c’est un peu comme un flamby. Il ne se souvient de rien. En train de descendre les marches. Le tapis rouge. Elle, à côté. Son sourire béat. Ses talons. Son cul, surtout… Les journalistes. Et puis, le ciel bleu. Quelque chose se dérobe sous mes pieds. Je tombe dans un tourbillon chaud. La même sensation que le matin après avoir fait l’amour. Des femmes, j’en ai connues. Je ne le dis pas trop haut, ça m’attirerait des scandales. Il y en a déjà suffisamment comme ça. Celles que je préfère je crois, c’est les brunes, grandes. Petits seins que tu tiens à peine dans la main. Qui se dressent de façon insolente. Longues jambes qui vous prennent en arceau. Vous emprisonnent. Petit cul qui balance. Gauche. Droite. Et ça vous accompagne en voyage, pour les réceptions officielles… Un chat qui vous suit, ronronnant constamment. 

 

J’ai tout de même quelques avantages. Heureusement. Enfin en attendant je suis là, cloué dans ce lit. J’ai quand même failli y passer. Ma petite chatte est là, câline, attentionnée. Pas très viril. Je me demande qui a bien pu faire le coup. Un malade. Un psychopathe. Apparemment, c’est un connaisseur. On ne sait pas d’où la balle est venue. Rien sur les caméras. Aucun suspect. Une vengeance divine ? Il faut dire que j’ai pu me faire pas mal d’ennemis… Enfin, l’essentiel est là. Je suis en vie. Avec ma petite chatte. La balle aurait aussi pu la toucher. Enfin, j’en aurais retrouvé une… Grande, brune. Ou j’aurais rappelé l’Autre. Cette autre qui a hantée ma vie, mon inconscient, qui restera toujours dans mon esprit, reine de mes fantasmes, de ma jouissance. Salope. Elle s’est cassée à New York. Ne répond pas à mes messages. A mes appels. Tant pis. Elle l’aura voulu. Sale garce. Dans la brume qui m’entoure, je souris à ma brune. Ma petite chatte. Elle me tend un autre flamby. Me nourrit à la cuillère. Maladroitement, une cuillère vient s’écraser sur le drap blanc. Gicle. Du sperme. Putain, fais gaffe. Essuie. Lèche. Pas très douée quand même… Pour l’instant, je suis dans ces draps. Mon rétablissement n’est pas encore officiel. Je ne sais pas si j’arriverais à redevenir celui que j’étais. Partout où j’irai, j’aurais peur je pense. En fait, je suis un vrai trouillard. Je l’ai toujours été. Je suis un branleur. Je n’ai pas de couilles.

 

Barbara HEBRARD

La Haine du matin - Ernest COLLOPE

8h45. Il monte dans la rame. Sûrement dix minutes de retard pour aller au bureau. Déjà, le métro est plus vide que d’habitude. Il n’a pas eu besoin de s’écraser contre un autre type en costume-cravate pour pouvoir entrer.

            D’habitude, pas besoin de s’accrocher à une barre pour ne pas tomber quand le train démarre : le type en costume-cravate à sa gauche amortit le choc. Tous les autres types en costume-cravate amortissent le choc.

            Il s’accroche à la barre près de la porte pour amortir le choc. D’habitude, il ne sait pas quoi faire de son attaché-case, où le caser. Il doit se baisser avec difficulté pour le coincer entre ses pieds. Ou alors il n’y arrive pas, trop de monde. Il le laisse flotter entre les jambes et les fesses en serrant la poignée bien fort, pour ne pas le laisser couler sur les corps glissants. Il regarde autour de lui : est-ce que quelqu’un a une tête à vouloir le voler ? Calvities, crânes chauves et visages fermés. Non, ça a l’air bon.

            Aujourd’hui, pas la peine de s’embarrasser. Il pose la mallette par terre, l’appuie sur sa cheville gauche. Il relève la tête. D’habitude il commence déjà à transpirer. Tout le monde transpire. Les chemises collent à la peau. Les cravates se froissent. La sueur coule sous les cheveux. Les mains moites se frôlent et s’évitent. Le type, derrière, lui expire sur la nuque.

            D’habitude, en entrant dans le métro, j’éprouve quelques difficultés à me sentir comme l’être humain que je suis pourtant censé être. Serrés comme des sardines, on dit serrés comme des sardines, mais ça n’est pas ça. On n’est pas serré, on n’est pas. Prendre conscience de façon palpable, immédiate, qu’on n’est qu’un échantillon de cette grosse viande humide enfournée dans la boîte du métro. La viande humide que sont tous ces gens collés les uns aux autres, et dont je ne suis qu’une partie. Mes jambes, mes bras, tout ça, ça n’est qu’une partie du gros morceau de viande. Je ne peux pas bouger mes jambes, je ne peux pas bouger mes bras, je ne fais que les regarder. Je me regarde. Il. Dans la boîte du métro. Mais ce n’est pas une boîte. C’est plutôt comme un emballage en plastique fin. Collant. Glissant. Qui se froisse dans les virages et qui couine sur les rails en ralentissant pour s’arrêter à la station suivante. Et les bouts de la viande s’accrochent sur le plastique mou pour ne pas tomber. Ils ont chaud tout d’un coup. Ca fait du jus de transpiration.

Aujourd’hui, il ne transpire pas. Pas de corps en nage pour l’empêcher de sentir la puanteur des égouts. La foule des bureaux est déjà passée : un petit monde réglé au chronomètre. Pourtant, il ne peut pas s’asseoir. Il y a tout de même trop de monde. Mais ce n’est plus le même monde. Aujourd’hui, on ne lit pas le journal : on discute. Aujourd’hui, on ne regarde pas sa montre, anxieusement : on somnole.

Dix minutes de retard et c’est la foule des bourlingueurs qui a pris place sur les banquettes. Quelques types avec des étuis à instruments, sûrement un orchestre de jazz qui vient de remballer son matériel après avoir passé la nuit à jouer dans une boîte. Il y en a qui ferment les yeux : crevés. Il y en a qui regardent par la fenêtre, le regard fixé sur les murs du tunnel. Ils suivent les câbles qui se balancent entre les ampoules de néon disposées tous les quinze mètres. On dirait qu’ils s’agitent, comme des gros serpents. Enfin, ils n’ont sûrement jamais vu un gros serpent, surtout un gros serpent qui s’agite comme ça. Enfin, ça doit quand même s’agiter comme ça, un gros serpent. C’est le mouvement. Secousse. Les yeux : cernés. Il y en a aussi qui discutent, la bouche pâteuse, mais ils ne savent même plus de quoi ils parlent. Les yeux fixés sur le plafond, ou sur le deuxième bouton de l’imper, en partant du haut, il est mal mis dans la boutonnière. Comme si ça avait un intérêt, le deuxième bouton de l’imper. Trop crevé. Celui-là se gratte avec sa main gauche l’œil gauche sous les lunettes. Ca pique, sûrement, pas dormi.

Au milieu de l’orchestre il y a les deux amoureux. Ils reviennent de l’hôtel, sûrement. Il a dit à ses vieux qu’il allait dormir chez son ami Paul. Elle a dit à ses vieux qu’elle allait dormir chez la cousine Mary. Pourquoi pas. Maintenant ils rentrent, ils vont faire semblant d’avoir dormi. Oui oui, je me suis bien amusé maman…

Montre. Merde merde, je suis en retard. Pas humain, obliger ses gosses à en arriver là. Tu feras pareil. Se souvenir de ne pas faire pareil. Et puis non. Ils ne rentrent pas de l’hôtel. On n’en sait rien. C’est comme une image. On peut la toucher, on peut la regarder, mais pourquoi ils sont là…

On n’en sait rien. En fin de compte, on s’en fiche. Ils s’en fichent de moi, je m’en fiche d’eux. Ils n’ont pas vu que je les regardais. Il n’y a que moi pour observer les gens dans le métro. Eux ils s’en fichent. Après tout on ne se connaît pas.

Je dis ça, je dis toujours ça, mais enfin ça ne m’empêche pas de continuer à regarder. C’est trop tentant, d’essayer de deviner ce qu’ils pensent, ces gens ; qui ils sont ces gens.

D’ailleurs, tout en pensant, j’ai continué à regarder, sans m’en rendre compte. Celui-là est plus jeune, on dirait. Avec son étui rectangulaire coincé entre les genoux, les mains croisées sur l’étui rectangulaire, le menton posé sur les mains croisées, la tête penchée en avant, les yeux sur la tête qui regardent par terre. Ca réfléchit. Ca a mal aux doigts, trop joué. Mais tout ça, je ne le réalise qu’après coup, quand je vois brusquement sa paire d’yeux qui me harponne. Je le fixais, il s’en est rendu compte. Toujours un moment embarrassant, d’être nez à nez avec un type qu’on a regardé sans avoir vu, et qui, craignant qu’on en sache long sur lui à force de l’avoir observé, en sait beaucoup plus sur nous à force de nous avoir remarqué. On ne se sent jamais aussi épié que quand on nous a vu épier.

Et donc. Là. Il a levé la tête. Il a croisé mon regard, le regard du type qui a dix minutes de retard. Ils ne bougent plus, d’un coup, nous deux, tous les deux. Les yeux dans les yeux. Le gosse a vu que je l’observais. Qu’est-ce qu’il a ce vieux con à m’observer ? Si je baisse les yeux en premier, le gosse saura que je l’observais, pour de bon. Ce vieux con, on va voir s’il a le cran de tenir ses yeux bien droits sur moi, longtemps, longtemps.

Normalement, les types qui croisent leurs regards, il y en a toujours un des deux qui tourne la tête aussitôt, et l’autre se marre dans sa tête. Et l’autre, en regardant par la fenêtre, se demande si l’autre est encore en train de l’observer. Et les autres, tout autour, n’ont rien vu, mais eux, ça leur occupe la tête pendant cinq minutes, à la place des gros serpents sur le mur du tunnel.

Enfin là, non. Il me regarde, je le regarde, les deux types se regardent bien fixement, bien fixement. Et ça n’était qu’un gosse et un vieux con, mais ça devient l’autre, juste l’autre et moi. On ne dirait pas comme ça, qu’on puisse haïr quelqu’un à qui on n’a jamais adressé la parole, mais c’est bien de la haine, entre les deux types. C’est de la haine qui les empêche de cligner des yeux, c’est la haine qui les attire l’un contre l’autre. La haine : c’est le vieux qui lui écraserait la tête sur son étui, au mioche, la tête qui s’aplatit, qui rapetisse sur le bois dur, c’est rouge, c’est mou, ça va s’arrêter de couler alors il mord dans le mioche, il avale sa viande, il avale. J’arrête d’avaler, d’un coup, un grand frissonnement remonte dans mon dos, jusqu’à la nuque, et ça se termine par mon épaule, d’un coup, un grand spasme. Mais l’autre est encore en train de m’observer, mais ça n’est pas fini, les deux types s’observent toujours, et pendant ce temps, je vois la viande aller contre la viande. Pendant ce temps, la haine c’est le gosse qui lui arrache les dents, au vieux con, une par une, il tire sur la gencive qui reste coincée, il lui met le poing dans le gorge et il creuse profond, bien profond et il lui attrape les boyaux et il les écrase et il les arrache. On ne se sent jamais aussi violé que quand on nous a vu violer, dépecer du regard la petite vie privée minable d’un pauvre type à qui on n’a jamais adressé la parole. Et alors il y a des morceaux de viande collés par terre, sur le mur, sur le plafond, avec les gouttes qui coulent et qui coulent et qui tombent.

L’homme au feutre, à ma gauche, s’est levé, quand la rame a commencé à ralentir, et s’est dirigé vers les portes. Je serre la barre quand ça freine, mais ma mallette glisse le long de mes chevilles. Je la replace avec mon pied droit. Quand je relève la tête, le garçon ne me regarde plus, le garçon a replacé sa tête sur ses mains, le garçon m’a oublié. M’a-t-il vraiment observé ? Peut-être que je dors encore à moitié. Montre. Et merde, je vais me faire tuer.

Curieux, cette haine. Même si j’étais endormi, c’en était. Elle surgit de nulle part, comme ça, naturellement. Il y a sûrement encore des crétins de philosophes pour penser que l’homme est bon : ils ont jamais pris le métro. Il y a même pas d’hommes, d’ailleurs, c’est juste de la viande compacte quand le métro est rempli, de la viande morne quand le métro est vide. De la viande pleine de haine, c’est ça l’humanité. Tu parles d’un modèle. Des morceaux de viande morne qui s’agitent au contact d’autres morceaux de viande morne. Je pourrais en tuer un le matin, si je ne devais pas surveiller mon attaché-case. Bizarre, quand même, comme ça surgit, un regard, et puis hop, on y est. Et ensuite, hop, ça finit pareil, comme ça. Maintenant, tout est calme.

Les deux amoureux ont disparu. Ils ont dû descendre en même temps que l’homme au feutre. Ou alors ils se sont juste évanouis. Sale coin, pour des amoureux, le métro. Maintenant ça fait un espace vide à la gauche du gosse, qui ne me regarde plus du tout. Brusquement, il a l’air à l’écart, on dirait qu’il flotte, on dirait qu’il est la seule chose immobile dans la rame qui grouille. Il est dans sa bulle. Sûrement que si quelqu’un me regarde en ce moment, il se dit ça : « Il est dans sa bulle, c’est tout flou autour de lui ». On doit tous être dans notre bulle.

Ca doit être ça. On a chacun sa bulle, mais il ne faut pas qu’elles se rencontrent. Sinon, on est comme surpris, comme pris sur le fait, sur je sais pas quel fait. Et là ça devient rouge, avec de la haine. Il vaut mieux pas rencontrer les gens, les rencontrer vraiment. C’est dur, dans le métro, de ne pas rencontrer quelqu’un. C’est plein de types, un métro, mais pour garder sa bulle, il vaut mieux pas les croiser du regard. Faire comme s’ils n’existaient pas. Finalement, c’est vide, un métro. C’est même pas rempli de viande, c’est juste moi et rien d’autre.

Tout à coup, ça se vide vraiment, même plus besoin de faire semblant. On s’est encore arrêtés, et tout l’orchestre de jazz descend avec ses étuis. Ca fait du bruit, et puis après, une sorte de silence assourdissant, quand il n’y a plus personne. Mais le gosse est resté. Il ne doit pas faire partie de l’orchestre, en fait. Il regarde toujours par terre, la tête entre les mains. Et quand j’entends les sirènes, je me dis, en le regardant, qu’il a l’air drôlement seul, d’un coup. Je revois, comme une photographie gravée dans ma tête, le même gosse, dans la même position, mais cinq minutes plus tôt, au milieu de la foule des passagers somnolents. Je revois toutes les bulles, les gens dans la leur, et lui dans la sienne, isolé, déjà. Ca doit être difficile d’être plus seul que quand on est seul dans la foule. C’est discret. En tout cas c’est plus dur que d’être seul tout seul. Un petit regard haineux, ça tient presque compagnie en fin de compte. Toujours mieux que d’avoir la tête entre les mains. Toujours mieux que de regarder la vieille couleur du sol plastifié dégueulasse d’un métro crasseux. Ca fait presque pitié. Le métro redémarre. Enfin je vais quand même faire attention à rester dans ma bulle. J’arrête de regarder. On ne sait jamais. Merde, c’était ma station.

 

Ernest COLLOPE

Florilège - Gonzague VAN BERVESSELES

FLORILEGE


Ainsi, je continue mon simulacre
De similaires simagrées, certes âcres;
Acrimonieux plaisantin plaisanté
Plaidant ployé l'adonis adonné.

Acmé culminant des sens accusé?
Non, bénéfique est la naïveté,
Voluptueuse veuve divulguée
Et violée sur le voilier de Protée.

Mais masquons cette monomanie molle
Montée par moi, malignement frivole,
Qui accole "Dame Naïveté"
En monolithe de lubricité.

Ainsi, comme j'ai déjà dû le dire,
Jouïssante entéléchie que d'écrire!
Ecrire à crocs cirés, y rêver rance,
Parler raout et faire un pas de danse.

Même si l'on danse comme un faux dandy
Qui ne fait que dansotter et se plie
A une basse danse délaissant
Moutons et singes juchés ignorants.

Autant être le fleuron des fleurettes
Flottant en fou fleurdelisé en fête,
Au lieu de fleurer un florissant flegme,
(Qui fait flonflon au fleuronné diadème)
Florès d'une flopée de floches femmes.

Enfin, après toutes ces flatulences
De florilège de foutaises denses,
De florilège fluent et folâtre,
Au final fla-fla flagada douceâtre,

Moi, en flou flandrin flâneur et flanqué,
Je voudrais finalement affirmer
Qu'il est favorable de flamboyer
Et garder la foi en ce que l'on fait.

Gonzague VAN BERVESSELES

dimanche 19 octobre 2008

D'écrire - anonyme

            tre chez lui ce soir, à 7h27. Il descend de sa voiture, prend le courrier, saisit sa clé dans sa poche intérieure, ouvre sa porte et la claque assez fort pour que Madame Unetelle crie « Tu es rentré ? » M. Untel : « Non… » Mme Unetelle : « D’accord ».

            M. Untel jette sa sacoche à côté de ses pompes, accroche mécaniquement son manteau et va aux toilettes. Il défait sa braguette, prend son sexe, vide sa vessie en visant l’eau, range, ferme et tire la chasse. Il entre dans la cuisine, pose le courrier, prend le journal et le pose ouvert sur la table en cherchant une plaque de chocolat. Il s’en casse deux rangées, reprend le journal, va s’asseoir dans son fauteuil au salon, allume la télé, met la 3 en baissant le son et repose ses yeux sur son journal. Mme Unetelle passe la tête par l’embrasure, lui demande si sa journée s’est bien passée, et répond que la sienne aussi merci à son maugrément.

            Lorsque sa femme l’appelle à table, M. Untel monte le son pour écouter les infos. Il va s’y asseoir, tend son assiette quand elle le lui demande pour le servir, remercie, prend sa fourchette, porte un morceau de paleron saucé à sa bouche, mâche en regardant sa femme se servir, pique un bouquet de brocoli en regardant la sauce, le porte à sa bouche et mastique en regardant sa femme. Ensuite, il embroche un morceau de brocoli puis un morceau de viande pour ne pas faire tomber les brocolis, enfourne le tout et regarde son assiette en avalant. Il réessaie, fait tomber la viande, s’éclabousse et rouspète, recommence et réussit. Il recommence, . Recommence, . Recommence,. Recommence. Recommen                   Il a fini son assiette et la débarrasse.

            Il retourne à la télé, regarde la fin du JT, regarde le film sur la 2 avec sa femme sur le divan, retourne aux toilettes, défait son pantalon, le baisse avec son slip, défèque en urinant, s’essuie, remonte le tout, ferme, sort, suit sa femme à la salle de bain, se brosse les dents, se rince le visage, va se mettre en pyjama et fait quelques mots croisés allongé en attendant que sa femme finisse de se démaquiller. Elle arrive, lui suggère quelques mots et prend son magazine, il finit encore deux grilles puis éteint et une fois que sa femme a fait de même s’endort.

            Il rêve, il croit se souvenir.

            Il se réveille, éteint l’alarme, descend aux toilettes, urine, va préparer son café et ses tartines beurrées avec le petit-déjeuner de sa femme. Elle descend, il remonte se raser, se doucher, se brosser les dents et s’habiller. Il embrasse sa femme, prend sa sacoche, remet ses pompes et sa veste, prend ses clés et sort. Il va chercher sa voiture démarre et part.

 

            Monsieur Untel rentre chez lui ce soir, à 7h14. Il descend de sa voiture, prend le courrier, saisit sa clé dans sa poche intérieure, ouvre sa porte et la claque assez fort pour que Madame Unetelle crie « Tu es rentré ? » M. Untel : « Non… » Mme Unetelle : « D’accord ».

            M. Untel jette sa sacoche à côté de ses pompes, accroche mécaniquement son manteau et va aux toilettes. Il défait sa braguette, prend son sexe, vide sa vessie en visant l’eau, range, ferme et tire la chasse. Il entre dans la cuisine, pose le courrier, prend le journal et le pose ouvert sur la table en cherchant une plaque de chocolat. Il s’en ca

anonyme